mardi 29 avril 2014

Et tout s'est éclairé - 2


Je ne suis pas très disciplinée : je n’arrive pas à pratiquer une activité comme le yoga ou la méditation de façon régulière, car je suis plus assidue si l’activité en question me fait signe concrètement... (lorsqu’un dessin inachevé est accroché à mon « fil de projets », je peux difficilement me retenir d’y travailler tous les jours, et au minimum matin et soir).


J'ai passé des semaines sur cette aquarelle, par exemple. Impossible de la laisser de côté.


Or la méditation Vipassana devient véritablement utile si on la pratique quotidiennement, ou du moins plusieurs fois par semaine.

Pour apprendre à jouer d’un instrument, il faut du temps (et de la patience) avant de saisir cette connexion geste-corde-son, comme une mini-chorégraphie que le corps et l’esprit apprennent ensemble, jusqu’au moment où l’on peut jouer sans réfléchir à chaque note.

Sur le même principe, l’habitude d’observer nos réactions à mesure qu’elles émergent en nous – au lieu de leur obéir – doit être développée régulièrement dans un contexte neutre (la méditation) où l’on peut s’y essayer tout à loisir, sans souci du résultat. Il suffit d’avoir foi dans le processus, et de recommencer patiemment... Le tandem corps-esprit finit par assimiler l’exercice, qui peut alors s’appliquer dans un éventail de situations concrètes.

Ce qui s'avère souvent bien utile !



Le pommetier de mon balcon, pendant sa plus belle incarnation : mi-mai.


En laissant le regard se perdre dans le vague, on devient conscient de chaque bourdon.
Ensuite, suivez-en un dans l'intimité des pétales.


Mais si je n’arrivais pas à méditer plusieurs fois par semaine, comment faire pour m’imprégner de ce principe salvateur ?

Je me suis alors souvenue de ce que S. N. Goenka avait dit, un soir (il n’était pas là en personne bien sûr, mais son merveilleux sens de l’humour transformait ces enregistrements vidéo en un discours très vivant – dans la version originale anglaise – qui devenait le meilleur moment de la journée) : « N’oubliez pas que vous pouvez pratiquer Vipassana également au cours de vos activités quotidiennes. Il y a de nombreuses occasions (au travail, en famille) où nous pouvons simplement observer ce qu’une situation provoque en nous, et la manière dont nous sommes portés à réagir. C’est un bon exercice. »



Un pommetier bien plus vaste et plus ancien : sur ma colline


Exactement ! Travailler en librairie offrait beaucoup d’opportunités de ce genre. Seule toute la journée pour servir les clients, je devais régulièrement faire des transactions à la caisse en même temps que je répondais au téléphone et aux questions des gens qui se trouvaient en face de moi. Chers serveurs et serveuses, vous savez de quoi je parle – et tous les parents aussi :o)

J’ai donc commencé à pratiquer mon équanimité au travail, du moins lorsque j’y pensais… et peu à peu, j’ai senti la différence. Des situations (ou des personnes) qui m’auraient exaspérée quelques mois plus tôt devenaient des occasions de m’exercer. Le résultat était variable, mais souvent encourageant... et cela se révélait progressivement plus facile.



Fonte des neiges : petit ruisseau turbulent et glacé


Qui plus est, je ressentais moins souvent le besoin de revenir en pensée sur telle situation injuste, ou sur tel dialogue qui m’avait demandé une bonne dose de patience. L’exercice consistait justement à laisser l’expérience s’éloigner, sans s’y attacher, même de façon négative. Et si j'essayais vraiment, j'y parvenais ! Cela seul en aurait valu la peine, car vivre dans ma tête n’est pas une bonne chose pour moi.



Une simple flaque dans une ruelle nous restitue le dessin mouvant des choses


Mais c’est l’expérience (un peu fortuite) des câlins gratuits qui m’a permis d’accéder à un autre niveau de compréhension.



Sous la surface du reflet : la texture du sensible


Depuis quelque temps déjà, je suis inscrite sur le site de Couch Surfing, ce qui m’a notamment permis de rencontrer des voyageurs sympathiques, des cat-sitters, et deux bons amis. Couch Surfing est l’un des mouvements internationaux qui me donnent foi dans le fait que la générosité, l’ouverture d’esprit et la confiance peuvent activement contribuer à changer le monde – celui d’aujourd’hui, et celui de demain. 

Après une décennie d’existence, cette vaste communauté compte presque 7 millions de personnes, partout dans le monde. C’est une belle façon de voyager (et d’héberger des voyageurs dont la vision du monde enrichit la nôtre), mais aussi de participer à des activités locales organisées dans le même esprit… et c’est ainsi que j’ai découvert un événement organisé par un membre du groupe CS Montréal.



Dans l'intimité insouciante de mon balcon


Je n’avais jamais entendu parler du concept des « câlins gratuits », mais il m’a semblé que cela m’aiderait à lutter contre ma timidité naturelle, d’autant que les câlins appartenaient pour moi au registre de l’intime; je ne les partageais qu’avec ma famille et mes amis proches.



Chez mon amie Marie-Christine  :o)


J’étais donc un peu nerveuse lorsque je suis arrivée au lieu du rendez-vous, mais j’ai vite pris conscience que les autres l’étaient aussi – nous étions une douzaine en tout, dont Caro, qui m’a plu tout de suite, et qui est devenue mon amie peu après :o)  Nous avons pris tout notre temps pour peindre des pancartes bilingues aux couleurs vives, qui proclamaient « Câlins gratuits ! Free Hugs! » et puis nous avons attendu, nos pancartes en main. Au début, les gens étaient généralement trop embarrassés pour accepter notre offre.

(Vous seriez-vous laissé tenter ? Avez-vous déjà participé à un événement de ce genre ?)



Candide ruelle du Mile-End


Alors j’ai eu l’idée de tendre les bras aux passantes (pour commencer) dans un geste candide et désarmant. Il est difficile de résister à ce langage du corps universel : avec un sourire attendri, elles venaient vers moi et nous échangions un câlin. Au bout d’un quart d’heure, ma timidité s’est évanouie; j’ai commencé à apprécier réellement cet échange chaleureux, sincère et tout naturel, y compris avec les messieurs, moins nombreux à se prêter au jeu (et qui m’intimidaient tout de même plus au départ).



Timides nuages parisiens



esquissant un dialogue silencieux.


Avec chaque personne, indépendamment de son état d’esprit ou de sa personnalité, la même chose prenait place entre nous : en quelques secondes, par la simple grâce de cette étreinte tranquille, nous étions connectés en profondeur. Notre échange de tendresse et de confiance avait une sorte d'immédiateté réciproque – nous les ressentions ensemble. Pendant cet instant, nous n’étions plus deux personnes différentes, mais deux pôles complémentaires de la même vibration.



Réunis au-dessus du Mont-Royal



Lorsque nous quittions cette étreinte, nos sourires émus et nos regards apaisés témoignaient du fait que chacun était conscient de cette connexion inattendue. Les mots étaient superflus, à part « merci » : nous savions tous deux que nous avions vécu une symbiose spontanée, aussi évidente que bienfaisante.



Le ciel verse lentement
la lumière du soir
 dans l'océan


Je vous laisse imaginer combien je me sentais grisée, reconnaissante et inspirée ! À présent mon geste d’invitation et mon sourire engageant étaient empreints d’une joyeuse promesse, et les gens se détournaient de leur chemin pour y répondre. Parmi eux, un homme un peu gauche m’a gardée dans ses bras plus longtemps, et je sentais le poids de sa lassitude, de sa solitude. Il a hoché gravement la tête en disant « merci », et là encore, les mots n’étaient pas nécessaires pour exprimer le fait qu’il n’avait pas partagé de câlin depuis longtemps.

Ah mes amis, je ne parviens toujours pas à raconter toute cette histoire sans avoir la gorge serrée. Avant de partir, j’ai échangé un câlin avec les autres Couch Surfeurs, et nos sourires témoignaient de la même gratitude.



Écume qui se replie
la lumière jaillit
et j'étais là


Sur le chemin du retour, je me suis aperçue que je regardais les gens en ayant à l'esprit cette connexion intime : j’étais maintenant véritablement consciente que juste sous la surface, nous partageons les mêmes émotions, les mêmes sentiments.

Cette révélation était la petite soeur de celle qui avait eu lieu dans la forêt…

Et elle me rendait plus heureuse encore.



Sentez-vous l'euphorie printanière, partout dans l'air ?


Au travail, dès le jour suivant, je ne pouvais m'empêcher de percevoir les clients à la lumière de ce qui s'était passé. Chez eux aussi, sous la surface, se cachait une âme sensible, avec laquelle j'avais tout l'essentiel en commun - rien de moins.

Je ne les saluais pas pour autant d’un chaleureux « bonjour » lorsqu’ils entraient, et je ne leur demandais pas non plus s’ils avaient besoin d’aide (sauf s’ils avaient l’air perplexe), car je préfère laisser les gens à leurs pensées et à leurs rêveries, aussi longtemps qu’ils en ont envie. Je crois que nous en avons vraiment besoin au quotidien  :o)

Ce changement de perspective restait donc de l’ordre d’un bouleversement intime; ce n’était pas visible de l’extérieur. 



Sages anémones du Japon, dans les  jardins du Palais-Royal.


De près, elles se révèlent toutes différentes. Un peu froissées, vulnérables, émouvantes. 


Mais à mesure que les jours passaient, je me suis aperçue que l’attitude des clients était différente, elle aussi. Et presque tous me remerciaient chaleureusement pour mon aide en quittant la librairie, alors que je les avais simplement renseignés comme d'habitude, en libraire compétente et désireuse d'être utile. J'étais touchée, et intriguée, par cette effusion reconnaissante, où se mêlait une part d'étonnement - comme celle des inconnus avec lesquels j'avais échangé un câlin.

Comment avaient-ils deviné? Que percevaient-ils de leur côté?



La petite Emmanuelle à quatre ans. On dirait presque qu'elle voit venir tout ceci...


Alors, j’ai décidé de pousser plus loin mon expérience.


*

Merci pour votre patience, chers lectrices et lecteurs, car la suite de ce récit paraîtra d’abord en anglais (en deux autres articles, je pense).

La première partie se trouve ici

et la version anglaise de cette deuxième partie, illustrée différemment, est très chouette aussi. 

:o)

ps - Cette photo de moi a été prise par mon papa, qui l'a imprimée lui-même dans sa chambre noire improvisée. J'ai toujours eu le sentiment qu'il avait réussi à réaliser mon 'portrait intemporel'... Mais ce mélange particulier de confiance et de tendresse dans le regard, je le retrouve seulement maintenant, après bien des détours dans le monde des grandes personnes. 
C'est un sentiment un peu magique, et très encourageant  :o)


4 commentaires:

  1. Tes textes sont toujours aussi émouvants... Mon petit cœur et moi adorons :)

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    1. Merci ma Solenne... Je vous envoie tout plein de tendresse, à toi et à ton petit coeur.

      :o)

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  2. je me reconnais tellement dans ces évocations émotionnelles et dans les débordements subséquents...

    et ton chant de baleine parvient à mon oreille d'éléphant sauvage avec ce mélange de puissance et de fragilité qui constitue les deux pôles de nos êtres singuliers.

    merci pour savoir si bien sonder et retranscrire ces petits événements sensibles qui s'inscrivent dans le sinueux tracé de nos vies que l'on voudraient légères et aériennes...

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    1. J'aimerais pouvoir être aussi éloquente dans ma réponse… c'est bon de sentir que mes récits suscitent de tels échos, surtout dans ton âme fraternelle et tendre, et si semblable :o)

      xo

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