mardi 22 avril 2014

Et tout s’est éclairé - 1


Ce récit couvre plusieurs années, résumées ici en quelques pages, mais le résultat est tout de même plus long que mes articles habituels. Voici la première partie...


C’est dans la forêt que tout a commencé.

Pendant des années, je me suis sentie plus à l’aise en compagnie des animaux, des arbres et des oiseaux, ou seule avec l’océan et les éléments, qu’en compagnie des humains.


À l'Île d'Yeu : la crique de Ker Daniau, où je me trouvais vraiment bien quand j'y étais presque seule


Les gens étaient mystérieux et imprévisibles; je n’avais pas accès à leurs pensées ni à leurs motivations. Je me sentais constamment maladroite et décalée, avec mes camarades de classe comme avec les adultes – même durant mes années d’étudiante.



Vision matinale et hivernale



En accommodant au-delà de la fenêtre, on distingue mieux le monde extérieur.
Mais il n'est pas toujours très explicite.


Mon rêve d’adolescente était de vivre dans le désert pour toujours, avec des livres et du matériel d’artiste… je pourrais même apprivoiser un petit cheval sauvage, ou un renard. Mais je connaissais suffisamment « la vie », à travers mes lectures bien sûr, pour comprendre que ce n’était pas possible. On ne pouvait pas gagner sa vie de cette façon, ni passer son existence à éviter les gens, apparemment.



C'était pourtant une bonne idée, non ?


Finalement, j’ai appris à gagner mon pain dans le cadre de la société, à la fois comme traductrice – profession qui peut aujourd’hui s’effectuer dans le désert, même si je ne l’avais pas vue sous cet angle – et comme libraire… J’aime trouver les mots justes pour exprimer la « voix » d’un auteur et sa vision du monde, ce qui est utile pour ces deux types d’activité :o)

Pourtant je me sentais encore décalée vis-à-vis des autres, je n'arrivais pas à saisir ce qu'on attendait de moi, et je savais encore moins comment répondre à ces attentes.

Comment faisaient les gens, qui semblaient trouver tout cela aisé et normal ?

La vie était décidément bien déconcertante.




Grues légères et désorientées, prisonnières d'une vitrine parisienne.


Puis je suis arrivée à Montréal, ce qui a eu deux conséquences majeures (et très gratifiantes) dans mon existence : je pouvais enfin être moi-même, et mes rapports avec les autres sont devenus plus réels – tout simplement parce que chacun y trouve sa place, y compris ceux qui tâtonnent encore à la recherche de leur personnalité... Le fait que nous soyons tous uniques, créant chacun notre destin, est ici non seulement une évidence, mais une richesse.

Malgré tout, ce processus de découverte me laissait souvent perplexe.



Jeu de devinettes montréalais bien connu.


Je devenais de plus en plus réceptive aux sentiments des gens, exprimés ou non : chez mes collègues par exemple, mais aussi chez les clients, ou chez les inconnus croisés dans la rue. Des détails touchants me prenaient au dépourvu : un échange de regards, un geste, une attitude. Ces observations involontaires résonnaient en moi à un degré souvent disproportionné, sans doute parce que j’avais été trop longtemps coupée de ces perceptions...

Ainsi, en passant dans un parc, la vue d’un grand-père tenant son tout petit-fils par la main me remplissait d’émotion, et je ne savais pas trop quoi en faire. Ou encore, lorsqu’à la librairie je montrais un livre d’images à un parent, j’avais invariablement la gorge serrée en arrivant aux dernières pages (ce qui était ennuyeux, car je n’arrivais plus à parler). 



Est-ce que les aurores boréales existent vraiment, se demande Tou-Ticki, 
ou bien est-ce qu'elles en ont seulement l'air ?
Je crois qu'elles existent vraiment, répond Moumine après réflexion.
Tout est très incertain, remarque Tou-Ticki, et c'est justement ce qui me rassure.



Une belle chorégraphie de danse contemporaine (ou de flamenco) dans une petite salle, me rendait aussi exaltée et épuisée que si j’avais été sur scène… et ainsi de suite.

Je me sentais un peu (plusieurs fois par jour) comme une guitare qu’on fait résonner à l’improviste, de préférence toutes les cordes en même temps, et parfois assez fort : c’était rarement harmonieux ou mélodique, mais plutôt troublant. Et dans quel but, si j’étais la seule à l’entendre ?



Saisie à la jonction des deux zones de lumière : le rectangle qui l'isole, et la vague qui la caresse.


Alors j’allais souvent marcher au milieu des arbres.

Leur existence s’inscrivait dans un temps bien plus vaste que le nôtre. Ils étaient bienveillants et patients. Ils seraient encore là bien après ma disparition, et c’était étrangement réconfortant. C’était comme s’ils me disaient : « Ne t’en fais pas… Quoi qu’il arrive, tout est bien. »



Vision intime et printanière.


Cependant, à l’heure magique entre l’après-midi et le soir, quand le sommet des arbres s’assombrissait devant le ciel devenu transparent, la pure beauté de l’ensemble résonnait dans mon âme et mon cœur, où l’exaltation se mêlait à une intense nostalgie. Mais une nostalgie de quoi ?



Le pin et le chêne dialoguent avec le ciel, et je reste, toute petite, dans l'ombre qui grandit.


Cela m’arrivait même en plein jour, chaque fois que j’étais près d’un de ces immenses peupliers que nous avons à Montréal – murmurant à la moindre brise. Tremblant à l’unisson, mais incapable de réponse à cet appel puissant et doux, je me sentais prisonnière de ma simple forme humaine.

« J’ai sûrement été un peuplier dans une autre vie », me disais-je, mais là encore, que faire de ce sentiment d’exil ?



Mes amis les peupliers, qui se déploient bien au-dessus des toits.
Sentez-vous l'impérieux vent d'été, auquel ni eux, ni moi ne savons résister ?


Puis, un soir humide et venteux d’octobre, alors que je rentrais chez moi en passant par le Mont-Royal, dans un état second parce que je n’avais pas dormi depuis plus de 48 heures (un travail à remettre), le vent était si tumultueux qu’il secouait dans tous les sens même les plus hauts arbres – quelle humeur frémissante et joyeuse imprégnait toute la forêt !

Venue de loin derrière la colline, une longue, puissante rafale de vent a soudain fait retentir plus fort encore les peupliers, très loin au-dessus de moi – et c’est alors que c’est arrivé : sans même m’en rendre compte, j’avais basculé dans un état d’unité complète avec tout ce qui m’entourait… les peupliers, les érables et les chênes, le vent, la pluie qui avait imbibé la forêt pendant des jours, j’étais tout à la fois; je sentais jusqu'à la vibration sourde des pierres dans mes os.



Ici s'annonce un orage de juin, qui a silencieusement rempli le ciel
avant de faire entendre soudain sa voix de vent, de tonnerre et de pluie.


Ce qui s’est passé ce soir-là est un récit à part entière, que j’aimerais illustrer et publier un de ces jours  :o)   Je ne l’élaborerai donc pas ici, mais ma véritable connexion avec le monde et ses habitants a commencé grâce à cette immersion inattendue et profonde.

Car c’est vraiment notre état naturel, celui que nous sommes appelés à ressentir tout le temps.

J’ai pris conscience alors que mon sentiment d’être « en exil » au sein de la nature était tout simplement une illusion. La beauté majestueuse et libre du monde naturel vit en nous, toujours – et c’était ce que les arbres avaient tenté de me dire, tout ce temps-là…

Tu n’es pas perdue, petite fille.

Et tu n’es jamais seule.



Affiche du Mile-End, artiste inconnu(e).


Quelque temps plus tard, je demandai à un ami s’il connaissait un bon cours de méditation. « Il y a Vipassana », dit-il simplement, en inscrivant le nom du site sur un post-it. Or, en consultant le site, j’ai su que c’était exactement ce dont j’avais besoin. (Merci Georges… :o) Je me suis inscrite à un cours de dix jours. Et j’y suis allée. Non seulement l’expérience fut très bénéfique, mais j’y ai trouvé les réponses à plein de questions, sur le moment et par la suite.

Le processus n’est pas facile à décrire – même si ses principes sont simples, comme la plupart des techniques de méditation – et peut s’avérer déstabilisant, mais en même temps très inspirant. Surtout, me semble-t-il, avec l’approche Vipassana, qui correspond aux enseignements de Bouddha. Si vous avez envie d’en savoir plus, voici un bon résumé de la chose.



Fontaine du Palais-Royal : le ciel, les arbres et l'eau se mêlent en toute fluidité.


Cette observation de S. N. Goenka m’a particulièrement frappée, car cela répondait à ce que m'avait révélé la forêt sur notre lien avec le monde naturel : « Nous ne sommes pas séparés les uns des autres. Nous sommes tous constitués des mêmes molécules; les mêmes sentiments nous rendent heureux ou malheureux… Notre nature profonde est universelle, et nous relie intimement à chaque être humain, chaque être vivant. » (Je résume de mémoire !)



La voûte renversée du canal Saint-Martin et ses nuages potelés.


La découverte et la pratique de Vipassana est ainsi devenue la seconde expérience déterminante dans ma quête vers une relation plus vraie au monde, à la fois comme une façon d'observer mes émotions (positives et négatives) avec une certaine équanimité – au lieu d’en être submergée – et comme un mode de perception plus large, qui me permettait de développer une connexion avec les gens, de la même manière que je me sentais connectée avec la nature.


Et puis il y a eu ce beau jour de mai, deux ans plus tard, où j'ai offert des câlins à des inconnus.


À suivre, dans la deuxième partie qui se trouve ici 

:o)

See also the English version for Part 1


2 commentaires:

  1. Que c'est joli, que ça me parle, que ça me trouble...

    (A commencer par ta plage de fin de journée. Je suis toujours partie à la plage quand la majorité des estivants s'en revenait : je la voulais pour moi seule, ou plutôt, non - je ne suis pas à ce point égoïste - , simplement rendue à son état originel, à sa paix et à son doux murmure.)

    Bravo, poète !

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    1. Tu as tout compris, chère Marianne... et tant mieux si mon récit te parle autant. À bientôt pour la suite :o)

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