Ce récit couvre
plusieurs années, résumées ici en quelques pages, mais le résultat est tout de
même plus long que mes articles habituels. Voici la première partie...
C’est dans la forêt que tout a commencé.
Pendant des années, je me suis sentie plus à l’aise en
compagnie des animaux, des arbres et des oiseaux, ou seule avec l’océan et les
éléments, qu’en compagnie des humains.
À l'Île d'Yeu : la crique de Ker Daniau, où je me trouvais vraiment bien quand j'y étais presque seule |
Les gens étaient mystérieux et imprévisibles; je n’avais pas accès à leurs pensées ni à leurs motivations. Je me sentais constamment maladroite et décalée, avec mes camarades de classe comme avec les adultes – même durant mes années d’étudiante.
Vision matinale et hivernale |
En accommodant au-delà de la fenêtre, on distingue mieux le monde extérieur. Mais il n'est pas toujours très explicite. |
Mon rêve d’adolescente était de vivre dans le désert
pour toujours, avec des livres et du matériel d’artiste… je pourrais même apprivoiser
un petit cheval sauvage, ou un renard. Mais je connaissais suffisamment « la
vie », à travers mes lectures bien sûr, pour comprendre que ce n’était pas
possible. On ne pouvait pas gagner sa vie de cette façon, ni passer son
existence à éviter les gens, apparemment.
C'était pourtant une bonne idée, non ? |
Finalement, j’ai appris à gagner mon pain dans le
cadre de la société, à la fois comme traductrice – profession qui peut
aujourd’hui s’effectuer dans le désert, même si je ne l’avais
pas vue sous cet angle – et comme libraire… J’aime trouver les mots justes pour
exprimer la « voix » d’un auteur et sa vision du monde, ce qui est
utile pour ces deux types d’activité :o)
Pourtant je
me sentais encore décalée vis-à-vis des autres, je n'arrivais pas à saisir ce qu'on attendait de moi, et je savais encore moins comment répondre à ces attentes.
Comment faisaient les gens, qui semblaient trouver tout cela aisé et normal ?
La vie était décidément bien déconcertante.
Comment faisaient les gens, qui semblaient trouver tout cela aisé et normal ?
La vie était décidément bien déconcertante.
Grues légères et désorientées, prisonnières d'une vitrine parisienne. |
Puis je suis arrivée à Montréal, ce qui a eu deux
conséquences majeures (et très gratifiantes) dans mon existence : je pouvais enfin être moi-même, et mes rapports
avec les autres sont devenus plus réels – tout simplement parce que chacun y trouve sa place, y compris ceux qui tâtonnent encore à la recherche de leur personnalité... Le fait que nous soyons tous uniques, créant chacun notre destin, est ici non seulement une évidence, mais une richesse.
Malgré tout, ce processus de découverte me laissait souvent perplexe.
Jeu de devinettes montréalais bien connu. |
Je devenais de plus en plus réceptive aux sentiments des
gens, exprimés ou non : chez mes collègues par exemple, mais aussi chez les clients, ou chez les inconnus croisés dans la rue. Des détails touchants me prenaient au dépourvu : un
échange de regards, un geste, une attitude. Ces observations involontaires
résonnaient en moi à un degré souvent disproportionné, sans doute parce que
j’avais été trop longtemps coupée de ces perceptions...
Ainsi, en passant dans un parc, la vue d’un grand-père
tenant son tout petit-fils par la main me remplissait d’émotion, et je ne
savais pas trop quoi en faire. Ou encore, lorsqu’à la librairie je montrais un
livre d’images à un parent, j’avais invariablement la gorge serrée en arrivant aux dernières
pages (ce qui était ennuyeux, car je n’arrivais plus à parler).
Une belle chorégraphie de danse contemporaine (ou de flamenco) dans une petite salle, me rendait aussi exaltée et épuisée que si j’avais été sur scène… et ainsi de suite.
Je me sentais un peu (plusieurs fois par jour) comme
une guitare qu’on fait résonner à l’improviste, de préférence toutes les cordes
en même temps, et parfois assez fort : c’était rarement harmonieux ou
mélodique, mais plutôt troublant. Et dans quel but, si j’étais la seule à
l’entendre ?
Saisie à la jonction des deux zones de lumière : le rectangle qui l'isole, et la vague qui la caresse. |
Alors j’allais souvent marcher au milieu des arbres.
Leur existence s’inscrivait dans un temps bien plus
vaste que le nôtre. Ils étaient bienveillants et patients. Ils seraient encore
là bien après ma disparition, et c’était étrangement réconfortant. C’était
comme s’ils me disaient : « Ne t’en fais pas… Quoi qu’il arrive, tout
est bien. »
Vision intime et printanière. |
Cependant, à l’heure magique entre l’après-midi et le soir,
quand le sommet des arbres s’assombrissait devant le ciel devenu transparent,
la pure beauté de l’ensemble résonnait dans mon âme et mon cœur, où
l’exaltation se mêlait à une intense nostalgie. Mais une nostalgie de
quoi ?
Le pin et le chêne dialoguent avec le ciel, et je reste, toute petite, dans l'ombre qui grandit. |
Cela m’arrivait même en plein jour, chaque fois que
j’étais près d’un de ces immenses peupliers que nous avons à Montréal – murmurant à la moindre brise. Tremblant à
l’unisson, mais incapable de réponse à cet appel puissant et doux,
je me sentais prisonnière de ma simple forme humaine.
« J’ai sûrement été un peuplier dans une autre
vie », me disais-je, mais là encore, que faire de ce sentiment
d’exil ?
Mes amis les peupliers, qui se déploient bien au-dessus des toits. Sentez-vous l'impérieux vent d'été, auquel ni eux, ni moi ne savons résister ? |
Puis, un soir humide et venteux d’octobre, alors que
je rentrais chez moi en passant par le Mont-Royal, dans un état second parce
que je n’avais pas dormi depuis plus de 48 heures (un travail à remettre), le
vent était si tumultueux qu’il secouait dans tous les sens même les plus hauts
arbres – quelle humeur frémissante et joyeuse imprégnait toute la forêt !
Venue de loin derrière la colline, une longue, puissante
rafale de vent a soudain fait retentir plus fort encore les peupliers, très
loin au-dessus de moi – et c’est alors que c’est arrivé : sans même m’en
rendre compte, j’avais basculé dans un état d’unité complète avec tout ce qui
m’entourait… les peupliers, les érables et les chênes, le vent, la pluie qui
avait imbibé la forêt pendant des jours, j’étais tout à la fois; je sentais
jusqu'à la vibration sourde des pierres dans mes os.
Ici s'annonce un orage de juin, qui a silencieusement rempli le ciel avant de faire entendre soudain sa voix de vent, de tonnerre et de pluie. |
Ce qui s’est passé ce soir-là est un récit à part
entière, que j’aimerais illustrer et publier un de ces jours :o) Je ne l’élaborerai donc pas ici,
mais ma véritable connexion avec le monde et ses habitants a commencé grâce à
cette immersion inattendue et profonde.
Car c’est vraiment notre état naturel, celui que nous
sommes appelés à ressentir tout le temps.
J’ai pris conscience alors que mon sentiment d’être
« en exil » au sein de la nature était tout simplement une illusion.
La beauté majestueuse et libre du monde naturel vit en nous, toujours – et
c’était ce que les arbres avaient tenté de me dire, tout ce temps-là…
Tu n’es pas perdue, petite fille.
Et tu n’es jamais seule.
Affiche du Mile-End, artiste inconnu(e). |
Quelque temps plus tard, je demandai à un ami s’il
connaissait un bon cours de méditation. « Il y a Vipassana », dit-il
simplement, en inscrivant le nom du site sur un post-it. Or, en consultant le
site, j’ai su que c’était exactement ce dont j’avais besoin. (Merci Georges… :o)
Je me suis inscrite à un cours de dix jours. Et j’y suis allée. Non seulement
l’expérience fut très bénéfique, mais j’y ai trouvé les réponses à plein de
questions, sur le moment et par la suite.
Le processus n’est pas facile à décrire – même si ses
principes sont simples, comme la plupart des techniques de méditation – et peut
s’avérer déstabilisant, mais en même temps très inspirant. Surtout, me
semble-t-il, avec l’approche Vipassana, qui correspond aux enseignements de
Bouddha. Si vous avez envie d’en savoir plus, voici un bon résumé de la chose.
Fontaine du Palais-Royal : le ciel, les arbres et l'eau se mêlent en toute fluidité. |
Cette observation de S. N. Goenka m’a particulièrement frappée, car
cela répondait à ce que m'avait révélé la forêt sur notre lien
avec le monde naturel : « Nous ne sommes pas séparés les uns des
autres. Nous sommes tous constitués des mêmes molécules; les mêmes sentiments
nous rendent heureux ou malheureux… Notre nature profonde est universelle, et
nous relie intimement à chaque être humain, chaque être vivant. » (Je
résume de mémoire !)
La voûte renversée du canal Saint-Martin et ses nuages potelés. |
La découverte et la pratique de Vipassana est ainsi
devenue la seconde expérience déterminante dans ma quête vers une relation plus
vraie au monde, à la fois comme une façon d'observer mes émotions (positives et négatives) avec une certaine équanimité
– au lieu d’en être submergée – et comme un mode de perception plus large, qui me permettait de développer une
connexion avec les gens, de la même manière que je me sentais connectée avec la nature.
Et puis il y a eu ce beau jour de mai, deux ans plus tard, où j'ai offert des câlins à des inconnus.
Que c'est joli, que ça me parle, que ça me trouble...
RépondreSupprimer(A commencer par ta plage de fin de journée. Je suis toujours partie à la plage quand la majorité des estivants s'en revenait : je la voulais pour moi seule, ou plutôt, non - je ne suis pas à ce point égoïste - , simplement rendue à son état originel, à sa paix et à son doux murmure.)
Bravo, poète !
Tu as tout compris, chère Marianne... et tant mieux si mon récit te parle autant. À bientôt pour la suite :o)
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