Mes débuts dans l’art
du portrait ne furent pas très prometteurs.
Ce pourrait être moi vers six ans... mais cela ne ressemble pas à mes dessins de l'époque. |
Enfant, je dessinais
tout le temps des visages dans les marges de mes cahiers, de préférence en
classe. Sans avoir à l’esprit quelqu’un de précis, je laissais mon crayon
suivre un profil imaginaire, ou je m'essayais à faire apparaître deux yeux, un nez, une bouche.
Même si tous ces
éléments s’harmonisaient entre eux (ce qui n’était pas toujours le cas), j’échouais souvent à l’étape finale : tracer le contour du visage.
J’avais du mal à recréer cette mystérieuse ligne qui relie les tempes, les
pommettes, le menton. Ou la forme des cheveux. Je m’y
essayais rarement, car le résultat était maladroit et peu plausible.
Le problème – j’en
prends conscience aujourd’hui seulement, en écrivant ces lignes – venait du
fait que je visualisais la chose en deux dimensions. Mes modèles inconscients
étaient les illustrations des albums et des romans jeunesse que je lisais à
l’époque... Il ne me vint jamais à l’idée de regarder mes professeurs et
camarades de classe pour y trouver des informations sur les pommettes et le
menton :o)
L'actrice Judith Godrèche photographiée par Paolo Roversi |
On note une évolution
intéressante de ce phénomène à l’adolescence, puisque mon inspiration venait
alors essentiellement des photos trouvées dans les magazines. Je n’y cherchais
pas délibérément des modèles : ils s’imposaient à moi. Au détour d’une
page, j’étais interpelée par un regard, une présence – il fallait que je
dessine ce visage.
Je travaillais au
crayon HB ou B, en faisant largement usage de ma gomme; mes portraits étaient
très réalistes, révélant les volumes et les ombres, les reflets dans les yeux,
le satiné de la peau. Je passais des heures sur chacun d’entre eux, dans une
sorte de transe. Un visage apparaissait sur le papier, par l’intermédiaire de
mon crayon ! Si je faisais attention.
Il fallait être
passionnée, persévérante, précise – et prudente.
Cependant mon dessin
venait toujours d’une image, et s’en trouvait limité. Si la photo laissait une
partie de la tête hors du cadre, je n’arrivais pas à l’intégrer à mon dessin de
manière satisfaisante.
J’étais donc convaincue
que je ne saurais jamais dessiner de mémoire, ni même avec une personne en face
de moi. Et donc, de toute évidence, je ne pouvais pas devenir illustratrice,
alors que c’était le seul métier qui m’ait jamais attirée.
Un soir pourtant, mon
plus jeune frère, Benoît, qui avait environ dix ans à l’époque, lisait un livre
dans le canapé. Personne d’autre dans le salon : j'ai commencé à
esquisser son portrait, sans être précise ni prudente. À ma grande surprise, non
seulement le résultat était (pour une fois) libre et naturel, mais c’était tout
à fait lui.
J’ai ressenti un
étrange vertige – et si finalement je pouvais dessiner d’après modèle ? … mais
que se passerait-il si je laissais mes espoirs grandir, pour m’apercevoir que
je n’étais pas assez douée ? – alors j’ai rangé le dessin, et je n’ai pas fait
d’autres tentatives. (Cela éveille-t-il des échos chez certains d’entre vous ?)
L’étape suivante a consisté
à explorer le monde par l’intermédiaire de la photographie. Je m’étais acheté
un Minolta X-300s d’occasion, et le fait d’avoir cette boîte de métal entre les
mains, de pouvoir regarder mon environnement à travers l’objectif, me donnait parfois
l’audace qui, en tant que jeune fille timide, me faisait généralement défaut.
À l’époque, je
trouvais très difficile de regarder les inconnu(e)s dans les yeux, et plus
encore de leur parler. Mais j’ai quand même demandé à plusieurs étudiantes (que
je connaissais à peine de vue) si elles voulaient bien poser pour moi, ainsi
qu’à une femme rencontrée dans les rues de Paris, Alison, dont la beauté m’avait
frappée.
Il s’est avéré que c’était une comédienne et artiste américaine, basée à New York mais amoureuse de Paris, où elle séjournait régulièrement. Si vous la connaissez, faites-le moi savoir, car j’ai oublié son nom !
Pour ces portraits
j’utilisais toujours du film noir et blanc, et je projetais les négatifs sur du
papier Ilford dans ma cuisine/chambre noire. À nouveau je regardais,
émerveillée, les visages émerger à la surface du papier. Je travaillais encore principalement
avec l’ombre et la lumière, cherchant des paysages dans la courbe des pommettes
ou la ligne des sourcils, mais j’étais désormais plus sensible à la présence de
chaque personne.
D'importants changements sont survenus dans ma vie peu après, si bien que la suite prend
place à Montréal, où je pouvais enfin être moi-même, mais aussi beaucoup plus à
l’aise avec les autres, et où je pouvais me réapproprier mes rêves d’enfant. J'ai donc fini par m’inscrire à un cours de dessin avec modèle vivant, et j'ai découvert que j’étais incontestablement douée pour la chose.
C’était tellement
libérateur, exaltant et gratifiant de voir un corps, un visage, une posture
apparaître sur ma grande feuille, cette fois de façon fluide,
concentrée et habitée, parfois en quelques minutes. Les modèles s’incarnaient
littéralement à travers ma main. C’était magique.
Voilà pour vous,
monsieur Doute et madame Oui Mais ;o)
Esquisse réalisée en quinze minutes dans un atelier libre de modèle vivant. |
Depuis, je dessine des
gens à leur insu dans mon petit carnet, surtout à la faveur des trajets en
train, car tout le monde est occupé à lire ou regarder dehors. J’ai récemment
mis en route un projet d’exposition autour de portraits d’inconnus. Et j’offre
maintenant (merci à Rachel pour ses encouragements) mes services comme
portraitiste.
:o)
Vous en saurez plus
lors de mon prochain billet sur le portrait, chers lecteurs :o)
PS – La version
anglaise est parue juste en-dessous, sous le titre Portaits – First Lessons. Vous y
trouverez une sélection d’images complémentaire à celle-ci.
Je viens d'assister, ému, à la naissance de ce blog (ici en France paradoxalement on ne francise pas et point de PFK itou...) où les composantes sensibles de ton univers se font jour avec simplicité et sincérité.
RépondreSupprimerTouché de m'y trouver en portrait adolescent... et toujours émerveillé de cette capacité à "croquer" la singularité d'une personne en quelques traits d'esquisse.
Je sais que ce blog est une étape importante pour toi et s'il existe c'est sûrement que Monsieur Doute a été sorti à coups de pieds... ;o)
Matthieu.
Eh oui comme tu dis, mettre à la porte monsieur Doute m'a permis de faire plein de place pour les élans créatifs! Ils ont trouvé ici un bel endroit pour se déployer :o)
RépondreSupprimerMerci cher petit-frère-qui-a-grandi-lui-aussi, et à bientôt alors...