samedi 1 mars 2014

Au pays de Lórien


(Non, ce n'est pas une impression... la version française est plus étoffée que la version anglaise (ci-dessous). Même au coeur de l'hiver, les bourgeons grandissent imperceptiblement : en quelques jours, ils ont pris un peu plus de place dans l'espace :o)

L’un de mes aspects préférés de Montréal (parallèlement à sa personnalité très accueillante), c’est que chacune de ses quatre saisons nous fait voyager : de la Suède au Brésil, en passant par la forêt enchantée de la Terre du Milieu... Les sensations, la lumière, l'air vivifiant ou nonchalant, tout nous emmène ailleurs.

L'église Saint-Michel dans le Mile-End, rue Saint-Viateur au coin de Saint-Laurent.
On dirait une mosquée... Elle soulève tout le quartier sans effort, comme une montgolfière.

Le printemps, par exemple, nous rend brièvement visite pendant les deux premières semaines de mai – jusqu’à la fin avril les arbres sont encore sans une feuille – et il est ensorcelant. Rien de comparable à ce que j’ai pu vivre en Europe, où pourtant j’attendais avec impatience l’arrivée des hirondelles, joyeuses annonciatrices du premier vent tiède de mai.

Ce sorbier candide (Sorbus Aucuparia) me fait penser aux tableaux du Douanier Rousseau.

Car ici, le printemps vous transporte dans une sorte de Lórien dont les érables sont les rois. En quelques jours, leurs myriades de fleurs envahissent les rues d’un merveilleux jaune-vert qui, d’après Walter Benjamin, serait la couleur même de la joie enfantine. (Si je retrouve la référence, je vous la donne :o)

Impossible de parcourir les rues sans se sentir grisé et bercé à la fois.

Les étés montréalais sont tropicaux à plus d’un titre, notamment l’atmosphère très détendue, et le fait que souvent, même un simple drap vous tient trop chaud pour dormir, malgré les fenêtres grandes ouvertes (rajoutons les noctambules qui, aux petites heures de la nuit, remontent parfois ma rue tranquille, discutant à haute et plus très intelligible voix de leurs préoccupations du moment).

Sur la galerie : mon amie Caro, lors d'un petit séjour chez moi. (I miss your sweet smile, dear Caro.)

Puis, dès la mi-septembre en général, l’automne donne à l’air et à la lumière une pureté toute montagnarde : les après-midis tièdes et dorés alternent avec des nuits claires et fraîches.

Mi-septembre : les pommetiers sont remplis de pommettes mûres.

En hiver, c’est un peu la Scandinavie ici (tout le monde fait de la luge, du ski de fond, du patin à glace ou de la raquette, même au cœur de la ville), sauf que nous bénéficions d’autant d’heures de jour que les habitants de Bordeaux, en France, puisque nous sommes à la même latitude.

C'est très appréciable, surtout quand le ciel est d’un bleu profond, et quand la température descend régulièrement à - 22 Celsius plusieurs jours d’affilée, ce qui correspond souvent, avec le vent, à une température ressentie de - 28 C.

Mi-décembre: le parc Jeanne-Mance au crépuscule (16h).
J'aime beaucoup cette petite colline, en toutes saisons.

Les pays scandinaves m’attirent depuis l’époque où j’avais une douzaine d’années, et où je découvrais (entre autres) l'univers de Moumine. Les hivers tout blancs et silencieux, les étés où la lumière s’étire jusqu’à la nuit, les aurores boréales, l’esprit d’entraide et de respect mutuels, mais aussi la musique des langues scandinaves, parlent encore à mon âme nomade.

Chaque hiver à Montréal, j'ai l’impression de voyager quelque part entre Stockholm et la mer Baltique : je traverse des étendues de neige scintillante pour rejoindre l'épicerie bio, j'entends le trottoir crisser sous mes pas, et je vois des patineurs dans tous les parcs.

Au parc Lafontaine, tout près de chez moi. Le vent était glacé ce jour-là... 
peu de patineurs, mais quelle lumière !

Même chez moi, comme je chauffe très peu (vive les économies !) je superpose les pulls de laine à la mode scandinave, avec chaussettes rayées, mitaines, et bonnet pointu. Non seulement j’ai bien chaud, mais en passant devant le grand miroir de ma chambre, j’aperçois souvent une lutine qui me sourit :o)

Dans un jardin suédois...

J'adore cette petite cape.

Pourtant, quand arrive la mi-février, l’été me manque de façon parfois lancinante, comme un ami que je n’ai pas vu depuis des mois. J’ai besoin d’être câlinée par le vent tiède, j’ai envie d’offrir à sa caresse mes jambes nues et mes épaules, et de retrouver ma liberté à vélo.

Ma rue ce matin : les arbres sont tout givrés.

Mes amis les arbres, dont la couronne est révélée dans tous ses détails sur le ciel hivernal, me manquent aussi, et nos conversations silencieuses et paisibles. Ils sont tout engourdis, à moitié pris dans la glace.


Le vieil homme-bouleau fait un somme : on se croirait encore chez Tolkien.


Pina Bausch réincarnée

Mais la simple vue de ces milliers de bourgeons d’érable, égrenés le long des branches dès le milieu de l’hiver, me fait soupirer de gratitude, et d’un plaisir secret.


Sur le Mont-Royal.

C’est le mois de juin qui m’appelle le plus : il y a dans l’air et dans toutes les choses vivantes une pulsation continue de joie, d’abandon et de confiance; les jours s’étendent jusqu’au cœur des soirs, et les soirs sont si doux qu’ils vous font pleurer.

Mais c’est justement frustrant d’être détournée de ce pur bonheur par d’autres obligations – comme travailler ou dormir – alors que j’aimerais m’immerger dans toute la beauté qui se déploie et ne demande qu’à nous envelopper.

Ce sont des semaines précieuses, au long desquelles il faudrait pouvoir s'abandonner à l'élan fluide et frémissant qui est notre vraie nature.


Les pivoines en sont un exemple rayonnant.

Alors c’est souvent en septembre, finalement, que je me sens la plus créative et la plus équilibrée. Je déborde d’idées et d’énergie. Peut-être parce que c’est le mois où je suis née…

Et vous, chers lecteurs ? Est-ce que les saisons vous influencent beaucoup, d’une manière positive ou négative ? Lesquelles vous rendent heureux, lesquelles vous réussissent le mieux ?


ps - Pour d'autres images, voir aussi la version anglaise, sous le titre Visiting Lórien
(oui, je l'ai changé :o)

ps 2 - Les photos de l'église et du bouleau, carrées et un peu floues sur les bords, ont été prises avec un appareil Holga (argentique moyen format, en plastique... imprévisible mais très léger).


7 commentaires:

  1. La photographie du vieil homme-bouleau et celle de l'église-montgolfière sont magnifiques ! Vive les appareils Holga ♥ Toutefois, j'espère qu'il ne ressemblait pas à celui-ci... http://www.laboiteverte.fr/un-appareil-photo-holga-geant/

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    1. Eh bien c'est tout à fait lui, mais en plus petit ;o)

      Merci ! xo

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  3. les évocations de l'été à Montréal et ses nuits suffocantes me replongent dans une ambiance similaire lors d'un séjour à Chicago à la même saison...

    l'impossibilité de trouver le sommeil m'avait d'ailleurs amené à m’installer sur les marches en bois de cette maison d'étudiants colocataires américains où je vivais alors...

    là, j'avais eu ce sentiment précieux d'être le spectateur unique et privilégié d’événements insignifiants qui ne prenaient sens et existence que par ma simple présence...

    et au cours de ces nuits moites d'insomnie j'avais composé depuis cet observatoire un quinzaine de chansons en anglais... au grand étonnement des écureuils fureteurs du petit matin !

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    1. Eh bien je découvre cet épisode en même temps que les lecteurs de ce blogue... Merci de le partager avec nous de façon aussi vivante, j'ai l'impression d'y être (et j'envie les écureuils du petit matin :o)

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  4. Je viens juste de tomber sur ton blogue...
    Quel plaisir de voyager d'être transportée ailleurs ce matin par la douceur de tes mots et tes jolies images!
    I'll look forward to reading more for sure (in both languages!)

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    1. Welcome in this space then :o) et merci pour ton commentaire ! C'est toujours chouette de connaître ses lecteurs... Je vois que tu vis dans les Pyrénées, c'est un très beau coin. Et j'admire tes réalisations en tricot ! Le hérisson et l'ours brun sont particulièrement réussis :o)

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